dimanche 17 avril 2011

Il faut se bouger !

Voici un petit texte de Fred VARGAS qui nous incite à ne pas rester dans la contemplation mais d'agir, et vite !

 

"Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette

tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de

l'humanité, nous y sommes.

Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire

avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités

d'insouciance.

Nous avons chanté, dansé.

Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que

le reste était à la peine.

Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos

pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois

voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du

bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les

nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche,

nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie,

créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.

On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme

faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement

modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers

des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets

radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.

Franchement on s'est marrés.

Franchement on a bien profité.

Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus

rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de

biner des pommes de terre.

Certes.

Mais nous y sommes.

A la Troisième Révolution.

Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution

néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne

l'a pas choisie.

« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? »

demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

Oui.

On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas

demandé notre avis.

C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement

laissés jouer avec elle depuis des décennies.

La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.

De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.

Son ultimatum est clair et sans pitié :

Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des

araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs

peu portées sur la danse).

Sauvez-moi, ou crevez avec moi.

Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on

s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et

honteux.

D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser

encore avec la croissance.

Peine perdue.

Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa

voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en

partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises

à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes,

en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon

là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce

charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs

(pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines,

on s'est quand même bien marrés).

S'efforcer. Réfléchir, même.

Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être

solidaire.

Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

Pas d'échappatoire, allons-y.

Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui

l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.

Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas

incompatible.

A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le

retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l'homme,

sa plus aboutie peut être.

A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons

encore."

 

Fred Vargas

Archéologue et écrivain

 

Allez, ne croyez pas tout ce que l'on vous dit ! Vous pouvez éteindre votre ordinateur et reprendre une activité normale !

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